« Si ce n'est pas Ma'âtique, ce n'est pas de l'islam »
Glossaire:
- Esotérisme / ésotérique : se référant à un corps de connaissances limité ou ne pouvant être compris que par un petit groupe de personnes initiées.
- Théosophie : philosophie ésotérique sur la nature de l'être et de Dieu.
- Mysticisme : recherche, via des connaissances ésotériques et des pratiques secrètes, de la communion ou de l'union avec Dieu.
- Anthropos : terme grec signifiant «homme».
- Androgyne : Marqué par la possession à la fois des caractéristiques ou de la nature des hommes et des femmes.
Le soufi arabo-andalou Ibn 'Arabî (mort en 1240) est appelée à juste titre Muhyi l-Dîn, « le rénovateur de la foi » et Al-Shaykh al-Akbar, « le plus grand maître ». Même si sa doctrine ésotérique lui valut l'inimitié des juristes sunnites non-initiés (les Oulémas et les fuqahā҅) et des takfir répétés (accusations d'incrédulité, kufr), son ésotérisme particulier était néanmoins d’une influence déterminante sur le mysticisme islamique, appelé soufisme. En Occident, il est considéré comme «le commentateur par excellence de la mystique islamique ». Selon Ibn 'Arabî sa doctrine théosophique trouvé dans ses deux œuvres les plus célèbres, al-Futûhât al-Makkiyya (« Révélations mecquoises ») et fusus al-Hikma (« Facettes de la Sagesse »), vint à lui par le biais de la révélation divine elle-même, et non par le biais de ses propres rêveries spéculatives. Ce serait certainement tenir compte des assonances entre la théosophie d’Ibn Arabî et la Science Sacrée égyptienne. En outre, Moustafa Gadalla suggéra qu’à travers le soufi nubien d'Egypte Dhu 'l-Nūn (mort en 860), les traditions égyptiennes antiques furent incorporées dans le soufisme. [1] Nous ne sommes donc pas surpris de constater la continuité entre l'ancienne science sacrée égyptienne et la science sacrée Afro-arabe, en particulier la mystique musulmane ou soufisme. Dans ce cas, nous découvrons que le personnage le plus controversé de la théosophie d'Ibn 'Arabî, al-Insan al-Kâmil ou l'homme parfait, est précisément l'Homme Parfait, Atoum, de la Science sacrée égyptienne.
Nous apprenons d'Ibn 'Arabî que la réalité suprême de l'existence, qu'il appelle al-Haqq («Le réel/Vérité»), dans une essence singulière qui englobe et transcende toute différenciation apparente (wahdat al-wujūd). Al-Haqq ici correspond au Noun pré-cosmique de la tradition égyptienne. Al-Haqq n'est pas vraiment Dieu, Allah, car Allah possède une multiplicité de noms et d’attributs divins. Al-Haqq manque de toutes ces délimitations; al-Haqq est en fait « Dieu Au-delà de Dieu ». Al-Haqq évolue en Allahat la conclusion d'un processus évolutif de la révélation de soi et l'automanifestation (Tajalli) qui a impliqué sept étapes et sept densités de la matière. Lors de la septième étape, al-Haqq apparaît en tant qu’Adam, l'homme parfait (al-Insan al-Kâmil). En tant qu'al-Insān al-Kâmil, Adam est Allah : il est la synthèse complète de tous les noms et les attributs divins (al-Asma 'wal- Sifāt), qui eux-mêmes sont limitées, des articulations individuelles de l'essence et qui d'al-Haqq sont en réalité l'ensemble des choses distinctes et des propriétés diffusé et dispersés sur tout l'immense univers. Comme le constate Toshihiko Izutsu, dans son étude comparative du soufisme:
« Ce qui est généralement connu comme « noms »et« attributs » n'est qu'une expression théologique de cette infinie variété des formes possibles de l'automanifestation de l'Absolu [al-Haqq]». [2]
Chaque être ou existant, du plus bas au plus haut (par exemple les anges), possède ou exprime simplement un Nom Divin. En Adam al-Insānal-Kâmil, cependant, tous les noms et attributs divins sont unifiés dans sa personne et il est donc appelée al-Kawm al-Jami ', «l’Être complet», «l'Être inclusif». Il est le Tout dans Tout (Allah). Alors que toute chose n’a qu’une partie de l'essence divine en elle, « la proportion ou la part (nisba) d'al-Haqq chez l'homme est parfaite (al-Futûhât al-Makkiyya, II, 70)3. [3] Adam al-Insan al-Kâmil, ou plutôt la forme humaine, est donc le véhicule optimal de la Divine révélation de soi. Ibn Arabî dit :
« De plus, (il mérite d'être nommé Homme - Insan - parce que) il (Adam) est pour Dieu comme un élève (Insan) il est pour l'œil comme un instrument de vision, c'est à dire voyant. Ainsi, il est appelé Insan parce que Dieu contempla ses créatures via l'homme, et eut pitié d'elles ». [4]
Selon la tradition ésotérique de l'Islam, Adam al-Insan al-Kâmil est l'Etre inclusif pour une autre raison: « Dieu a rejoint ses deux mains pour (créer) Adam (voir Coran 38:75) » ce qui signifie ésotériquement que: « Adam se joint à lui sous deux formes, la forme du monde (matérielle) et la forme al-Haqq (spirituelle).» En tant qu'al-Insan al-Kâmil, Adam est l'isthme (barzakh) entre deux pôles de la réalité qui relient le ciel et terre, le spirituel et le matériel. Le maître soufi dit :
[Ô Iblis, qu’est-ce qui t’a empêché de te soumettre à celui que J’ai créé de Mes deux mains? (38:75)] « Vous devez avoir compris maintenant la véritable nature du corps d'Adam, c'est à dire sa « forme » extérieur, ainsi que la véritable nature de son esprit (Ruh), c'est à dire sa « forme » intérieure. Adam est [al-Haqq] (en vue de sa forme vers l'intérieur) et (représente) les créatures (en vue de sa forme extérieure) ... Dieu a joint ses deux mains pour (créer) Adam. Il l'a fait dans le seul but de montrer sa haute position... La jonction de ses deux mains ne symbolise rien d'autre que le fait qu’Adam se joint à lui dans ces deux «formes» : la forme du monde et la forme de [al-Haqq]. Ces deux sont les «mains de Dieu». [5]
«L'homme au niveau cosmique, ou l'homme parfait, est doté d'une parfaite « globalité ». Et en raison de cette «globalité» par lequel il synthétise en lui-même tous les existants de l'univers, non pas individuellement, mais dans leur universalité, l'Homme Parfait montre deux propriétés caractéristiques qui ne sont pas partagés avec rien d’autre. L'une est qu'il est le seul être qui est vraiment et pleinement autorisée à être un «serviteur» parfait ('abd) de Dieu. Tous les autres êtres ne reflètent pas Dieu parce que chacun ne réalise qu’un seul nom divin, ils ne peuvent pas, par conséquent, être des « serviteurs » parfaits. La seconde caractéristique de l'Homme Parfait consiste en étant en un certain sens l'Absolu [al-Haqq] lui-même ... L'Absolu, dans son aspect d'autorévélation, atteint la perfection dans l'homme parfait. Dans ce dernier l'Absolu se manifeste sous la forme la plus parfaite, et il ne peut être de manifestation plus parfaite que cela. L'homme parfait, à cet égard, est l'Absolu, tandis qu’en même temps une créature ». [6]
C'est un fait étonnant que l’Adam ésotérique d'Ibn 'Arabî, al-Insan al-Kâmil, soit incontestablement le Atoum de la Science sacrée égyptienne. Le nom Atoum fut pris par les prêtres d'Héliopolis à partir de la racine tm, signifiant à la fois «être complet» et «être parfait». [7] «En d'autres termes», dit Gadalla, «Atoum représente la personne parfaite». [8] Atoum est donc al-Insan al-Kâmil. George G.M. James, dans son œuvre monumentale Stolen Legacy, dit que le nom Atoum signifie «l’auto-créé ; tout et rien ; combinaison de principes positifs et négatifs ; tout-inclusif ... le tout ... » [9] Ce tout-inclusif d’Atoum est important ici. Albert Churchward, dans son Origine et évolution de la religion, remarque que:
«Quand il est dit qu’Atoum est « le Seigneur de l'Unité », c’est une façon de l'appeler le Dieu Unique, le point culminant de tous les pouvoirs en un seul pouvoir suprême, tous les différents dieux et déesses étaient les représentations des différents pouvoirs, des attributs du Dieu unique». [10]
Il est reconnu que les neteru, les dieux et les déesses de la Science sacrée égyptienne, furent des personnifications des attributs distincts du Grand Dieu, Neter Aah. Ces attributs personnifiés furent dépeints zoomorphiquement, en utilisant le symbolisme des animaux pour représenter des caractéristiques particulières du Dieu Unique. [11] Lorsque tous les attributs divins furent réunis, ils firent l'être constitutif du premier anthropos (« homme »), Atoum (tout comme Adam de la tradition islamique fut le premier anthropos). [12] Atoum, le paradigmatique «Homme-Dieu» de la Science sacrée égyptienne, fut donc appelé Nab Tum, « Seigneur de tout » et selon la Litanie de Rê, Atoum est «le Tout» (= Allah). Il est «Seigneur de tout» parce que tout est en lui. Atoum est donc al-Jami ', «le global/l’inclusif», comme Adam al-Insan al-Kâmil. Comme le dit J.Zandee d'Atoum : «Il possède toutes les conditions pour mettre tout hors de lui. Il était une Monade et a créé des millions de créatures qu'il contenait potentiellement en lui-même». [13]
Comme Adam al-Insan al-Kâmil est l'isthme (barzakh) entre les deux pôles de la réalité (l'unité de la dualité) il en est de même pour Atoum. La divinité égyptienne est (symboliquement) androgyne et appelé le « Seigneur des Deux Terres », et est représenté portant le pschent, la double couronne de la Haute et de la Basse Egypte. [14] La «Deux Terres», cependant, sont des symboles de deux polarités métaphysiques qui sont unis en Atoum : «Adam/Atoum est la personne idéale qui combine les principes masculins et féminins ... Le couple mari et femme est la manière caractéristique d'exprimer la dualité et la polarité», dit Gadalla. [15] Entant qu'Adam al-Insan al-Kâmil, le groupe/la dualité qui unifie Atoum est le monde spirituel lumineux (Rah) et la matière sombre (noun). La forme lumineuse divine, Rah, qui est comparable à la ṣūra ilāhiyya («forme divine») du soufisme,incarne dans un corps de matière sombre crée à partir du Noun, et le résultat est Atoum, le Dieu noir du « coucher de soleil ». [16] Atoum, comme Adam, possède donc deux formes: une forme intérieure lumineuse (Rah) et une extérieure, sombre, sous une forme matérielle (Nūn/Asar).
Selon Ibn 'Arabî, Adam al-Insan al-Kâmil eut un développement évolutif en sept étapes et son être composée de tous les pouvoirs et les existants qui firent leur apparition au cours des sept étapes. Selon la lecture d'Albert Churchward des anciennes sources égyptiennes, l'émergence éventuelle de l’anthropos Atoum implique son absorption des sept puissances primordiales qui lui préexistaient, et ces «sept» puissances sont devenues les «constituants de son corps, ou les moyens de sa réalisation». [17] Les sept puissances primordiales furent également des séquences chronologiques, car elles sont chacune liées à l'un des sept Pôles stellaires qui se succèdent au cours de la Grande précession. [18] Ainsi, comme Adam al-Insan al-Kâmil, l’émergence d’Atoum dans la forme humaine est le sommet d'une évolution en sept étapes qui impliquait aussi la synthèse d’Atoum dans son être de TOUS les existants de ces étapes. En bref, l'Adam ésotérique de l'Islam est Atoum de la Science égyptienne sacrée.
Références:
[1] Moustafa Gadalla, “Egyptian Mystics: Seekers of the Way” (Greensboro, NC: Tehuti Research Foundation, 2003) 21.
[2] Ibid., 35.
[3] On Ibn ‘Arabī’sAdam theosophy see John Little, “Al-Insānal-Kāmil: The Perfect Man According to Ibn al-‘Arabī,” The Muslim World 77(1987): 43-54; David Emmanuel Singh, “An Onto-Epistemological Model: Adam-Muḥammad as Traditional Symbols of Humanity’s All-Comprehending Epistemic Potential,” The Muslim World 94 (2004): 275-301;Gisela Webb, “Hierarchy, Angels, and the Human Condition in the Sufism of Ibn‘Arabī,” The Muslim World 81 (1991): 245-253; Henry Corbin, Alonewith the Alone: Creative Imagination in the Sūfism of Ibn ‘Arabī (Princeton:Princeton University Press, 1969);Toshihiko Izutsu, A Comparative Study of the KeyPhilosophical Concepts In Sufism And Taoism (Tokyo: The Keio Instituteof Cultural And Linguistic Studies, 1966).
[4] Izutsu, Comparative Study, 218.
[5] Izutsu, Comparative Study, 219, 222.
[6] Ibid., 231.
[7] Françoise Dunandand Christiane Zivie-Coche, Gods and Men in Egypt: 3000 BCE to 395 CE (Ithacaand London: Cornell University Press, 2004) 25; Veronica Ions,Egyptian Mythology (Middlesex: Paul Hamlyn, 1968) 40; J. Zandee, “The Birth-Giving Creator-God in Ancient Egypt,” inAlan B. Lloyd (ed.), Studies in Pharaonic Religion and Society, in Honourof J. Gwyn Griffiths (London: The Egypt Exploration Society, 1992) 181.
[8] Egyptian Mystics, 31.
[9]George G.M James, Stolen Legacy (San Francisco: Julian Richardson Associations, 1976) 147.
[10] Churhward, Originand Evolution, 231.
[11] On the attributeanimal in Egyptian religion see especially Erik Hornung, Conceptions of God in Ancient Egypt: the One and the Many (Ithaca: CornellUniversity Press, 1982)109-25.
[12] Churhward, Originand Evolution, 217 facing, 248.
[13] Zandee,“Birth-Giving Creator-God,” 182.
[14] Ions, Egyptian Mythology, 40.
[15] Gadalla, Egyptian Mystics, 58.
[16] On the dark primordial matter and divine luminosity within see Helmer Ringgren, “Light and Darkness in Ancient Egyptian Religion,” in Liber amicorum. Studies in Honour of Professor Dr.C.J. Bleeker. Published on the Occasion of his Retirement from the Chair of the History of Religions and the phenomenology of Religion at the University of Amsterdam Leiden: E.J. Brill, 1969: 140-150; Dunand and Zivie-Coche,Godsand Men in Egypt, 45-46; James P. Allen, “The Cosmology of the Pyramid Texts.” In Religion andPhilosophy in Ancient Egypt (New Haven: Yale Egyptological Series,1989): 1-28. On Rah re-entering the primordial waters and becoming Atum (again)see Dunand and Zivie-Coche, Gods and Men in Egypt, 27, 45-46;Vernus, Gods of Ancient Egypt, 45. On Rah darkening andtransforming into Atum see See Ringgren, “Light and Darkness,” 150; KarlW.Luckert, Egyptian Light and Hebrew Fire. Theological and Philosophical Roots of Christendom in Evolutionary Perspective (Albany: StateUniversity of New York Press, 1991) 73. On Atum as a black god see JulesTaylor, “The Black Image in Egyptian Art,” Journal of African Civilization 1(April, 1979) 29-38.
[17] Churhward, Origin and Evolution, 248.
[18] Churhward, Origin and Evolution, 109-110.
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